Alors que les chaînes d’approvisionnement s’internationalisent de plus en plus, la gestion des risques liés aux droits humains est devenue un défi à la fois complexe et crucial. Un défi qui affecte le bien-être des travailleurs, met en lumière les préoccupations croissantes des consommateurs et pose de nouveaux enjeux financiers et éthiques pour les entreprises. Linda Kromjong, présidente d’amfori, association professionnelle dont JJA est membre qui promeut le développement de chaînes de valeurs durables, explique comment les entreprises peuvent se montrer à la hauteur du challenge.

De plus en plus d’entreprises ont des supply chain internationales. Quels sont les principaux risques en matière de droits humains auxquels elles sont confrontées ?

 

Ces risques varient selon les pays et les secteurs, la réponse sera donc très différente d’une entreprise à l’autre. Ils englobent souvent des problèmes liés au travail forcé ou à l’esclavage moderne. Parfois, les signaux sont subtils : par exemple, conserver le passeport d’un travailleur qui n’est donc plus libre de partir. Dans d’autres cas, il s’agit de travail des enfants, de conditions de travail dangereuses, d’absence d’équipement de protection ou de blocage des issues de secours. Des horaires de travail excessifs ou l’absence de jours de repos peuvent aussi constituer des risques graves pour la santé et la sécurité des travailleurs. La discrimination, le harcèlement sur le lieu de travail et la restriction de la liberté d’association en sont d’autres exemples. Ces situations ne nuisent pas seulement aux travailleurs concernés : elles peuvent aussi avoir un impact négatif sur les performances financières d’une entreprise.

la gestion des risques liés aux droits humains est devenue un défi à la fois complexe et crucial
Linda Kromjong
présidente, amfori

Comment ces risques peuvent influer sur les résultats d’une entreprise ?​

Concrètement, si les travailleurs ne sont pas heureux, qu’ils ne peuvent pas prendre soin de leur famille ou sont épuisés, cela risque d’entraîner une baisse de leur productivité, une diminution de la qualité du travail, des accidents, des grèves et jusqu’à des décès. Les actions en justice intentées par les travailleurs peuvent entraîner des coûts pour l’entreprise, mais aussi nuire à sa réputation. Les risques réputationnels sont plus fréquents pour les marques de grande consommation, mais toutes les entreprises peuvent être touchées. Une fois sa réputation entachée, elle est longue à reconstruire.

La bonne nouvelle, c’est que la plupart des risques peuvent être gérés très efficacement s’ils sont identifiés suffisamment tôt, et si les entreprises sont prêtes à prendre des mesures pour résoudre les problèmes identifiés et éviter qu’ils ne se reproduisent.

 

amfori a développé un programme appelé amfori BSCI (Business Social Compliance Initiative) pour guider les entreprises dans l’exercice d’une due diligence en matière de respect des droits humains. Comment cette initiative peut-elle aider les entreprises à mieux identifier les risques auxquels elles font face ?

Ce programme a vu le jour il y a plus de vingt ans, en 2003. La première étape a été la création d’un Code de conduite, qui détaille les valeurs et les principes que les fournisseurs doivent respecter. Ceux-ci s’appuient sur les normes internationales, telles que la Déclaration de l’Organisation internationale du travail (OIT) relative aux principes et droits fondamentaux au travail. Le Code de conduite amfori BSCI n’est pas un document statique : il est mis à jour en fonction des changements de législation et de l’évolution des pratiques des entreprises. Afin d’en faciliter la compréhension et la mise en œuvre, nous proposons des formations à nos membres et leurs fournisseurs. Les membres amfori peuvent aussi cartographier leurs fournisseurs via notre plateforme de développement durable, mais aussi évaluer leurs risques. Pour cela, plusieurs outils sont à leur disposition, comme le “Risk Compass”, les auto-évaluations des fournisseurs, ainsi que des audits réguliers sur le terrain. Une fois les risques identifiés, les membres travaillent avec leurs fournisseurs pour développer des plans d’action visant à combler les lacunes. Enfin, ils rendent compte de ces actions à travers un reporting : toutes ces étapes constituent le processus de due diligence.

Au cours des derniers mois, les initiatives en matière de développement durable ont dû faire face à une levée de boucliers, aux Etats-Unis mais aussi en Europe, avec l’amendement de la CS3D dans le cadre du paquet Omnibus. Cela pourrait-il porter atteinte aux standards appliqués jusqu’à présent dans les supply chains mondiales ?

Nous avons besoin de règles du jeu équitables, or l’expérience nous a appris que les normes volontaires ne suffisent pas à les créer. Les entreprises ont besoin d’une législation en matière de due diligence ancrée dans les normes internationales. Avec l’introduction de la CS3D, de la CSRD et de la taxonomie, puis leur regroupement dans la proposition de législation Omnibus, le paysage réglementaire est incertain. De nombreuses voix se sont fait entendre pour réduire la charge administrative des entreprises. Une demande à laquelle il est ardu de s’opposer, mais attention à ce que certains éléments bénéfiques ne disparaissent au passage. L’issue de la législation Omnibus est difficile à prédire, mais une chose est sûre : le monde est devenu très volatil, ce qui a un impact direct sur les chaînes d’approvisionnement mondiales. Les entreprises se posent beaucoup de questions : où nous approvisionner ? Devons-nous changer de fournisseur ? Nous approvisionner dans un autre pays ? Dans ce contexte, réaliser une due diligence est plus important que jamais. Ce processus permet aux entreprises de prendre les bonnes décisions et de rester résilientes, quelle que soit l’évolution du paysage politique et réglementaire.

 

En Europe, nous avons tendance à nous considérer comme plus vertueux que d’autres en matière de chaînes d’approvisionnement, en particulier les pays asiatiques, considérés comme plus risqués. Cela correspond-il à la réalité ?

Ce biais persiste en effet, mais ne reflète pas forcément la réalité. Premièrement, les risques existent partout : dans tous les pays et tous les secteurs, pas seulement la production industrielle. Deuxièmement, les fournisseurs asiatiques ont réalisé des progrès considérables au cours des vingt dernières années. Ils savent s’adapter, connaissent parfaitement les législations, et attendent de plus en plus de leurs propres fournisseurs qu’ils respectent les mêmes standards. Construire des relations de long terme entre acheteurs et fournisseurs permet réellement de réduire les risques liés aux droits humains. Et tout le monde est gagnant : les travailleurs, la planète, et les entreprises.